LE TOUT VENANT # 0

Du plus loin au plus près. Image satellite imaginaire. C’est ici que ça va se passer ! La ville, une ville et ses 3000 trajectoires. Des voitures, des portières qui claquent, des pas pressés sur le bitume. Une démarche en dit long. Mais dit quoi ? Et jusqu’où ? Un bâtiment. Habitation à Loyer Modéré. Ses étages, ses escaliers, ses méandres de couloirs. Radiographie d’un immeuble. Premier étage, deuxième étage, troisième étage. Au fond du couloir le dernier appartement à gauche. Anges traversant les cloisons, nous cherchons à savoir ce qui se vit ici. Ce qui ne se dit pas. Ce qui aurait pu être vécu. Benoit : on pourrait faire des moments musicaux très différents. Juliette : parlé-chanté-chuchoté. Benoit : ça a l’air de rien de faire des trucs avec trois boîtes de conserve mais tout le monde n’y arrive pas ! Juliette : descendre, monter. Ça fourmille d’histoires, un immeuble et ses habitants. Benoit : descendre, monter. C’est drôle, c’est les points cardinaux qui donnent le temps. On commence par le sud, le bas, puis l’ouest, à gauche, puis l’est, à droite, enfin en haut le nord, pour un 4 temps. Il fait le mouvement dans l’air. Un, deux, trois, quatre. Sud, ouest, est, nord. Sud, ouest, est, nord.
Le Tout Venant en voit de belles !










LE TOUT VENANT # 1

« Oui, cela pourrait commencer ainsi, ici, comme ça, d’une manière un peu lourde et lente, dans cet endroit neutre qui est à tous et à personne, où les gens se croisent presque sans se voir, où la vie de l’immeuble se répercute, lointaine et régulière. De ce qui se passe derrière les lourdes portes des appartements, on ne perçoit le plus souvent que ces échos éclatés, ces bribes, ces débris, ces esquisses, ces amorces, ces incidents ou accidents qui se déroulent dans ce que l’on appelle les « parties communes », ces petits bruits feutrés que le tapis de laine rouge passé étouffe, ces embryons de vie communautaire qui s’arrêtent toujours aux paliers ».


La Vie mode d’emploi, Georges Perec.


Bribes, débris, amorces, esquisses : notre Tout Venant à venir, parangon du discontinu et de l’inachevé.



























LE TOUT VENANT # 2

« Ils vivent dessus,
ils vivent dessous,
ils se croisent sans se voir aux carrefours. »

Cela pourrait être un résumé de notre Tout Venant à venir. C’est issu d’un texte de Michelle Grangaud, Geste : narrations, publié chez POL en 1991.

Première page, cela donne ça :

« La salle d’attente
est tout à fait vide.
Curieusement, les fauteuils sont très présents.

  Quand le réveil sonne
il détend le bras,
presse le bouton avant d’ouvrir les yeux.

  Le panneau affiche :
il est interdit
de descendre sur la voie. Danger de mort.

  Le tonnerre gronde,
la braise rougeoie,
la cigarette n’est fumée qu’à moitié.

  Ils vivent dessus,
ils vivent dessous,
ils se croisent sans se voir aux carrefours.

  Le train va partir,
il court sur le quai
en marmonnant des mots incompréhensibles.

  Elle étend le linge
sur la corde à linge.
Les draps claquent en vol vers le ciel de vent.

  L’oiseau bat des ailles,
il n’avance pas,
il reste en l’air, immobile et bat des ailes
.

 





LE TOUT VENANT # 2 suite

J’ai lu le livre en entier, en une seule fois. Une impression aride s’en dégage. Refuser l’affect ce n’est pas rien. Il s'agit de beaucoup plus que de refuser l'affect : refuser le symbolique, sens et valeur. Aucun commentaire, pas de superflu, pas d’adjectif qui aiderait à caractériser les personnages et les liens entre eux, s’il s’agit bien de personnages, ce dont on doute, même pas des figures. Et quelque chose d’absolument fascinant qui émerge. On rentre dans ce rythme, dans ce flux d’images et de situations prises sur le vif. On est pourtant très extérieur à ce qui se vit, rien ne nous est donné pour qu’on participe d’une manière ou d’une autre. Description précise, dans une économie de moyens stupéfiante (3 lignes, pas une de plus !) à la mécanique horlogère. J’y vois une écriture proche des objectivistes américains. Refus de tout arrière plan, tout arrière-monde, refus du psychologique. Fascinant. Aride, mais fascinant.




















LE TOUT VENANT # 3


Vendredi 28 avril

Donner de la valeur, donner de la grandeur à l’infraordinaire.
Toutes ces portes, ouvertes ou fermées.
L’immeuble. Rentrer, sortir, ouvrir, refermer, nettoyer, s’installer, ranger. Jeter les miettes par la fenêtre. Secouer le tapis par la fenêtre. Couper ses ongles par la fenêtre.
On entend des bruits de circulation. Camions poubelle.
Pourquoi est-ce que l’on veut toujours faire des exploits. On ne se dit pas : je vais élever mes enfants tranquillement, simplement et leur donner tout ce que je pourrai pour qu’ils démarrent tranquillement, simplement dans la vie. On se dit qu’il faut qu’ils soient les plus beaux, les plus intelligents. On ne se dit pas : je vais faire un peu de yoga. Non, on veut rentrer en méditation profonde pendant une demi-heure, comme ça, tous les matins. On ne se dit pas : je vais faire quelques mouvements de gym le matin. Non, on attend d’avoir deux heures devant nous pour faire toute la panoplie des postures.
Des exploits. On avancerait d’exploit en exploit. Pas de creux, pas de relâchement.
On est tous des rescapés des exploits qu’il faut faire chaque jour pour aller jusqu’au jour suivant.

Mardi 2 mai

Rémi Chechetto et ses portraits : échange de 3 minutes avec une personne volontaire suivi de l’écriture de son portrait en vingt minutes chrono…Dans l’intensité et le feu de la rencontre ! Le livre « Nous ne sommes pas des héros (enfin si, un peu quand même) » éditions de l’attente, dans lequel il fixe son protocole. Cela fait signe vers ce que j’écrivais vendredi… ! Rémi Chechetto, mentionné par François Bon, sur son site, Remue.net.

Mille silhouettes dans la ville fictive. Ecriture du flux.

La prise de son dans le parking souterrain de l’hypermarché. J’ai repéré que les caddies roulant dans les allées à l’étage au-dessus, avec le passage répété des roues sur le carrelage, produisent un son étouffé très intéressant. Flux et reflux, comme des vagues, dans la grande mer commerciale. Difficulté à le saisir car il est brouillé par les moteurs démarrant au quart de tour et les portières qui claquent. Casque sur les oreilles, j’écoute. Et puis. L'ignominie. Un homme s’approche derrière moi subitement, me glisse une insanité qu’il pense m’être inaudible. Elle est décuplée par l’enregistrement en direct. « Je vais te mettre la tête dans le coffre et te prendre en levrette. Tu aimes les strings, je t’achèterai un string, regarde, comme celui que j’ai sur moi, touche-le», dit-il en descendant son pantalon tout en s’approchant de plus en plus. Son visage à quelques centimètres du mien. Son rictus fou. La peur qui grandit me fait me rétracter dans un coin de mon cerveau. Avant de tout envahir, de tout paralyser, d’annihiler ma volonté, dans un dernier sursaut, je réagis enfin, je lui réponds d’un très trop calme « Non merci » et je prends la fuite hors du parking souterrain. Je signale ses agissements aux vigiles à l’étage au cas où il lui viendrait l’envie de saisir d’autres cerveaux et d’autres corps.

Tout peut arriver au Tout Venant.

Mardi 30 Mai

Le Tout Venant : un terme à tiroirs et à double tranchant.

Avec Benoît, on tient un journal. Réservoir de textes, de citations, de choses vues et entendues. Je l’appelle « Journal de mon bord » comme Pierre Reverdy. Benoît l’appelle « carnet de voyages dans mon pays : l’humanité ». On se dit qu’aller faire un tour dans nos cahiers respectifs et glaner « ce qui vient » pourrait être une bonne chose, à tenter, en tous les cas.

Voilà ce qu’on a : une ritournelle (le Tout Venant), une galerie de portraits (embryonnaire), des phrases-situations, des citations, des textes sur les paliers, les bacons, les entrées. Un essai de contrebasse en live. Une bande son bricolée avec les hésitations, tous les « avant-la-parole » sauvés de l’oubli et de l’implacable « cut » de la Machine.

On veut : des voix enregistrées, des textes lus, chantonnés, chantés, de la musique live, des sons enregistrés.

On recherche : comment textes et sons pourraient s’imbriquer, se répondre, se développer en parallèle. Pour les textes et pour les sons, il y a un rapport au temps qui n’est pas le même, une inscription dans le temps différente. Comment faire pour que leurs différences se complètent et s’enrichissent, se servent et se croisent. Chacun dans son tunnel et puis d’un coup, carrefour, chemin, clairière, arpentés en commun, de conserve !

Mercredi 14 juin

Rencontre avec Benoit. On fait des essais du logiciel de composition avec quelques textes pré-enregistrés au préalable. Ils sont complètement déformés quand on les lance pour la première fois avec la Machine ! On essaie de résoudre le problème en repérant un bouton activant une sorte de reverb et delay mélangés, qui donne l’impression d’un bégaiement surpuissant. Le Ttttoutoutout Vvvevenant.

Oui nous aussi nous bégayons. Nous bégayons devant le jour. Nous bégayons devant la nuit. Nous bégayons devant le peu que nous pouvons faire. Devant le peu qui nous reste à vivre. On garde notre calme. A moins que cela ne soit lui qui nous garde.

Par quoi commencer ? Est-ce qu’il s’agit toujours de ça, quoiqu’on fasse, « commencer » ? N’aurait-on pas dû commencer par le début ? Est-ce un début ? Se plonger dans le dictionnaire est le comble du début. Savoir de quoi on parle. Définition. Tout Venant, dictionnaire historique de la langue française :
A touts venants (1380) puis à tout venant (1559) : à tous ceux qui se présentent, s’est employée adverbialement pour « à la minute ». C’est d’abord un terme technique (1837) désignant la houille non triée, puis dans l’usage courant, s’applique à tout ce qui se présente sans triage préalable.

Nous habitons une ville minière. Une ville qui a abrité des puits de mine en activité jusqu'aux années 70. Autant dire que "la houille non triée" ça nous parle. Ici ça veut dire quelque chose de très précis, une fonction, un métier, une activité. C'est les femmes qui triaient. On les appelait les clappeuses.

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