l'exploitation des corps.
20 février # 0


Tout commence par des questions. Un méli-mélo d’interrogations, point de départ de la rencontre, qui s’adaptera, se transformera, se façonnera au fur et à mesure des relations tissées et des entretiens menés.
Comment êtes-vous devenu exploitant agricole ? Est-ce que la ferme est dans votre famille depuis longtemps ? Est-ce que toute la famille participe à la vie de l’exploitation ? Comment s’organise la répartition des tâches ? À quelle période de l’année y a-t-il le plus de travail ? Pouvez-vous me raconter une journée typique de cette période ? Pouvez-vous me raconter un beau moment de famille vécu sur la ferme ? Et un plus difficile ? Qu’est-ce que vous aimez le plus à propos de votre métier ? Et quelles sont les choses qui vous pèsent ? Y a-t-il un endroit où vous aimez aller pour respirer/être au calme ? Que souhaitez-vous pour vos enfants ? Que souhaitez-vous pour vous-même ? Et les personnes qui pratiquent le même métier que vous ? Est-ce important pour vous que l’exploitation reste dans la famille ? Pourquoi ?




















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27 février #1 >


Carte de l’occupation du sol agricole en Saône-et-Loire.

La Saône et Loire présente une Surface Agricole Utile (SAU) égale à 554 059 ha (second rang des départements français).

- En vert clair, les prairies naturelles, valorisées par l’élevage allaitant charolais, occupent les deux tiers de la SAU.

- De beige à jaune, les céréales (53%) dominent sur les 175 968 ha de terres arables, suivis par les cultures fourragères (30%) et les oléagineux (12%).

- En violet, une fraction minime de la SAU est dévolue à la viticulture : 13 120 ha qui représentent toutefois en valeur une part essentielle de la production agricole du département.


saoneetloire
Source : atlas paysage saone et loire











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26 mars # 2


Je suis interpellée par une double dynamique sur la question de la transmission, que je retrouve dans plusieurs témoignages de familles d’agriculteurs : d’un côté, les parents ne veulent pas forcément que leur enfant fasse le même métier qu’eux, car ils connaissent la pénibilité et les sacrifices liés à ce choix de vie; d’un autre côté, c’est difficile d’envisager que la terre sorte de la famille, justement parce que des sacrifices ont été faits pour la valoriser et la conserver (souvent sur plusieurs générations). 
C’est une piste importante, car elle met en jeu une ambivalence qui me semble intéressante à explorer dans la construction des personnages, des ambiguïtés et des fragilités qui les habitent. 
Et puis des chiffres, frappants, sur le célibat des agriculteurs (1 sur 4). La filière Lait représente environ 45% des agriculteurs célibataires ! Sans jour de congé, en enchaînant des journées de parfois 12 heures, c’est difficile de sortir pour rencontrer quelqu’un… 
D’ailleurs, plus l’exploitation est petite, plus le pourcentage de célibataires est élevé (63% de célibataires sur les petites exploitations, où le fonctionnement est souvent assuré par la personne du matin au soir, contre 13% sur les très grosses exploitations qui ont les capacités d’employer). Des chiffres qui montrent que la question de la charge de travail est bien au cœur du célibat agricole. Peut-on compter ses ares et conter fleurette ? 



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14 mars # 3
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Un premier entretien incroyablement riche, réalisé jeudi 11 mai dans un petit village en bord de Saône… Océane (le prénom a été changé) est maraîchère, la troisième génération de sa famille à faire ce métier. J’ai été extrêmement émue de la confiance qu’elle m’a accordée, pour partager l’histoire et les relations familiales, dans toute leur complexité. Dans mon processus d'écriture, c'est cette confiance que j'essaie d'honorer, en écrivant des personnages qui portent en eux/elles l'essence de ce qui m'a été confié.

« Mon grand-père en exploitant, il a commencé à 19 ans. Il est né en 1932. C’est lui qui a commencé le maraîchage, on ne sait pas vraiment pourquoi il a lancé le légume. C’est quand il a rencontré ma grand-mère qu’il a commencé, avec les radis et les salades. Il faisait ça en gros, « le marché du gros » donc il vendait de nuit au marché de Châlon. Il partait de nuit et revenait au petit matin. Est-ce que c’était pour les grossistes, les restaurants ?
En 1976, quand ça s’est effondré, ma grand-mère a décidé de faire le marché de détails, et là, ils sont passés à 20 - 25 variétés de légumes.
Ma grand-mère était investie à la ferme, elle a eu quatre enfants, mais elle était la… Je sais pas… La femme soumise. Je ne sais pas comment elle a fait. C’est elle le pilier de maison. C’est mon grand-père qui était décisionnaire mais c'est elle qui tenait la famille. Quand elle est partie en 2009, la famille a un peu éclaté. Ma grand-mère n’a pas profité de sa retraite. Elle voulait prendre sa retraite mais elle était malade depuis quelques années, une maladie des intestins. Dans le temps, ils n’avaient pas de mutuelle, c’est vraiment la génération d’agriculteurs à la dure, ils écoutaient le gouvernement de loin. »

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17 juillet # 4
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- depuis le salon du 11ter rue Paillasserie - les moustiques piquent



Quatre personnages se dessinent. Je ne sais pas s’ils seront tous là à la fin, ou juste certains, ou aucun d’entre eux. À travers eux, je commence à mettre au travail les dynamiques des relations intergénérationnelles sous un même toit. Les voici :

arbre
Une intuition par rapport à l’espace aussi : la cuisine. Un espace qui ne changerait pas durant toute la pièce, et qui serait ponctué des mouvements de chacun : on se pose rarement à la ferme, et pour peu de temps. Un espace qui raconte cette ferme immobile, pesante, mais aussi bien vivante.

Jeanne - Il est où Freddie ?
Anne - Au champ.
Jeanne - Tu es allée voir ?
Anne - Non, il me l’a dit avant de partir.
Jeanne - Il y a combien de temps ?
Anne - Je ne sais pas mémé. Ce matin, tôt.
Jeanne - Tu ne vas pas aller voir ?
Anne - J’ai quinze minutes pour manger et je repars.
Jeanne - Monte-moi dans ton camion et va voir.
Anne - Ne t’inquiète pas, il va bien. Promis, je jetterai un coup d'œil tout à l’heure. Tu as déjà mangé ?
Jeanne - Oui.
Anne - Et Mattéo ?
Jeanne - Il n’est pas encore sorti de sa chambre.
Anne - Sérieusement ? Mattéo !
Un temps
Jeanne - Il va falloir crier plus fort si tu veux qu’il t’entende.
Anne - Mattéo !
Jeanne - Je l’ai vu avant-hier mettre de la cire d’abeille dans ses oreilles.
Anne - MATTÉO !
Jeanne - Il y a peut-être des résidus.
Anne - MATTÉO BONNOT, TU AS DIX SECONDES POUR RAMENER TES FESSES DANS LA CUISINE.
Jeanne - On peut pas dire qu’il a que des idées brillantes, le Mattéo.
Anne - Tu as déjà mangé, mémé ?
Jeanne - Oui.
Anne - Oui quand ?
Jeanne - Ce matin.
Mattéo - On a besoin de moi ici ?
Anne - Oui, « on » a besoin de toi ici. Mets un pantalon, mange quelque chose, et viens m’aider à charger le camion.


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15 février # 5 >


- depuis le salon rue Charbonnière - le soleil brille, les bourgeons sortent - trop tôt 


Je retranscris un deuxième entretien, réalisé au début de l'automne auprès de trois générations : le grand-père, le père et le fils, tous agriculteurs éleveurs. Les réécouter, écrire leurs mots, leurs interactions, me redonne du souffle ! 

Le fils - Quand j’ai vu le cinéma que c’est, les papiers, l’administratif, on fait les papiers au moins une journée par semaine. On est à la merci de tout le monde. Y a beaucoup de monde qui s’occupe de vous, mais c’est bien inutile. Tu vas demander des choses concrètes, sur les impôts ou autre, ça va pas forcément t’amener quelque chose. Maintenant, il faut tout faire en ligne. Sur les normes, c’est une catastrophe. On fait venir de la viande du Brésil, et à côté de ça, je me suis installé depuis novembre, et j’ai déjà eu un contrôle. S’il manque une boucle ou deux, c'est comme si on avait trafiqué de la drogue ! Si on n’a pas déclaré un veau dans les 7-8 jours, on nous enlève tant de pourcentage.
Le père - Si l’adjudant te dit que c’est mal rasé, même si tu t’es rasé y a cinq minutes, t’es de corvée vaisselle !

Un rendez-vous est pris en mars, à la maison du patrimoine oral de Bourgogne pour aller à la rencontre des chants traditionnels en langues régionales. En attendant, je couche des idées sur le papier, et mes personnages prennent de plus en plus vie dans ma tête... 
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24 avril # 6 >


- Dijon ou la semaine des questions qui fâchent -  

QUESTION QUI FÂCHE N°1

EST-CE QU'ON A LE DROIT D'ÉCRIRE UNE PIÈCE POUR 6 COMÉDIEN.NE.S ?

"Parce que ça fait du monde ça sur le plateau et en tournée et c'est pas toutes les compagnies qui peuvent se permettre de faire ce genre de création et c'est pas toutes les salles qui peuvent se permettre d'acheter un spectacle avec autant de monde et est-ce qu'on doit le prendre en compte quand on écrit parce que c'est quand même plus facile de faire circuler un texte avec moins de monde deux ou trois acteurs tiens c'est parfait ça oui mais ça ne va pas pour ce texte là parce qu'ils sont vraiment importants tous mes personnages et comment je peux avoir un dialogue intergénérationnel si je n'ai pas plusieurs générations qui cohabitent sur scène et mes musiciennes elles sont essentielles pour porter le propos et chanter les choses qui n'ont pas pu être dites avec des mots parce qu'il y en a un paquet dans ces vies là de choses qui ne sont pas dites avec des mots non vraiment je ne peux me séparer d'aucun d'entre eux ou alors j'écris une autre pièce voilà je n'ai qu'à faire ça je laisse tomber cette pièce de toute façon ça fait un an que je travaille dessus et je n'avance pas plus vite qu'un limaçon alors au point où j'en suis autant arrêter ou même mieux je laisser tomber l'écriture tout court voilà j'arrête l'écriture c'est fini tout est fini."

Ou bien, je fais taire ces pensées-là, et j'écris.


Pour le reste, on verra plus tard.  

J'y vais

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